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FIESTA POUR L'OISIVETE

 

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Les candidats à la présidentielle font corps autour d’une même valeur, le travail. Jamais nous n’avions entendu clamorer avec autant de vacarme les bienfaits du travail. Comme s’ils se doutaient que la valeur n’enchantait pas, certains plus que d’autres insistent sur ses vertus. Travailler plus, c’est gagner plus. Différemment martelée, l’équation croustilleuse joue l’écholalie. On dit alors gagnant gagnant ou encore donnant donnant. Formules que l’on croyait en usage seulement dans les cours de récréation, lors d’une querelle de galapiats. Donc, le travail est à l’ordre du jour, comme un « point d’or » (Joseph Delteil), comme un pont céleste. Et l’on sent bien qu’il n’est pas que la réponse (tautologique) à la question du chômage. On devine autre chose.

Par exemple, on devine la captation des énergies lascives sur la voie de l’effort. Non pas l’effort anti-productif des ahanements du plaisir, du frisson eudémoniste. Plutôt l’effort utile, celui qui sied aux acteurs marchands. L’huile de coude opposée à la sudation des joies. Et l’on voit bien que l’intention est de régler le pas, de mettre en rang, d’imposer au sifflet la marche courbée. Il s’agit en somme de réorganiser sur un ton martial une société hostile. Bien inspirée, il faut dire, par l’injonction qui fit florès en d’autres temps : « Ne travaillez jamais ! » Cette inscription de Guy Debord sur un mur du Quartier Latin ayant ouvert des voies, on s’applique aujourd’hui, avec des mots d’équerre, à effacer son souvenir.

L’éloge de la paresse serait-il un hymne au sommeil ? Je ne le crois pas. La paresse est l’antidote aux effets du travail. Rappelons-nous que le travail, pour ce qu’il entre dans l’équilibre machinique, la belle harmonie du commerce, est synonyme d’oubli de soi. Et l’on sait que l’oubli de soi est l’étage supérieur de l’abandon à toutes les crapuleries. Que faire, lorsqu’on a tout donné, toutes ses forces, les étincelles de son corps et de son esprit ? Rien, il ne nous reste rien, sinon la soumission au spectacle cathodique, ultime réflexe avant l’endormissement.

Or, la valeur travail est une ruse gigogne. Elle absorbe toutes les nuances du plaisir. Elle nie la créativité, la puissance d’être soi, dans la pleine possession de sa pensée, en contrôle de son êtreté. La société qui se dessine, vorace de notre temps, est une machine à tuer l’oisiveté. Impétueuse soufflerie, elle n’a qu’un but. Emporter dans une tornade noire, les principes de la paresse : gratuité et jeu. Car il n’est de vraie vie sans l’éden du jeu et la rencontre gratuite, sans l’innocence et le rêve, sans l’art que nous possédons, seul bien commun.

« Fay ce que vouldras », devise de l’abbaye de Thélème, indiquait le chemin de la liberté, celui que l’on suit en flânant dans l’observance d’un temps qui ignore l’impérative cavale des heures.

André Hardellet, un allié rabelaisien, nota mirifiquement que  l’oisiveté est mère de tous les talents. Il ne parlait pas trop vite. Cet antinomiste (qui tombe à pic ces jours-ci) employa les minutes de sa vie à ralentir tandis que la vitesse battait son plein. En lisant La promenade imaginaire, Donnez-moi le temps, la méthode vous est donnée. Elle convient à ceux qui résistent à l’entourloupe de la séduction-travail.

Herman Hesse rédigea un ensemble de billets qui estoquaient les tayloristes de l’existence. Son Art de l’oisiveté est un régime succulent qui rejoint pointilleusement les conseils pour faire halte d’André Hardellet.

Une fois de plus, ne nous laissons pas abuser par le discours malin des affidés de l’économisme. En aucune manière, nous ne chanterons les laudes du travail, le dogme de la servitude, l’écrasement du rêve moteur de la réalité. Il est d’autres penseurs, désobligeants, qui refusent de se coucher aux ordres. Prenez le temps, avant qu’on vous le vole, de puiser dans leurs livres d’éveil, le suc roboratif. Lisez plutôt ou relisez, dans les entractes du labeur, aux toilettes (selon Louis Calaferte, selon Henry Miller), ces joyaux de la littérature qui invitent au relâchement : Paul Lafargue bien sûr, également Clément Pansaers (L’Apologie de la paresse), Bertrand Russel (Éloge de l’oisiveté), Kazimir Malevitch (La Paresse comme vérité effective de l’homme), Robert Louis Stevenson (Une apologie des oisifs) et toute chose relançant l’espoir que la vie n’appartient pas aux puissances d’argent. Guy Darol

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« Je suis un rêveur, un ennemi de toute règle et de toute mesure. Je cours d’une pensée à l’autre, d’un pays à un autre pays, comme l’hirondelle qui laisse aux beaux jours le soin de diriger son vol », Ernest Cœurderoy.

Commentaires

  • Encore Bravo Guy pour ton érudition et ton éloge de la paresse, alors que t'es un génial chercheur en bons mots et que pour nous sortir tes articles érudits, tu bosses du chapeau mon pote et tu nous dépotes, pour sûr !

    En ce que concerne la modeste Missdinguette, personnage à temps complet du Franckos dit Bartos, comme je l'annonce sur mon blog : "j'aime me fendre la bouille à langueur de journée", d'autant que chez nous, la gent simiesque, nous n'avons jamais inventé une notion de travail qui provient de la torture, beark, beark, je désepère.....

    Encore bravo pour tes partages d'utopies.

    Missdinguette la Singette

  • Très bel hommage à la liberté, la vraie, celle de l'homme.

    Les rapaces, les prédateurs (lire Thortein Veblen), ont un impérieux besoin du travail ... celui des autres, des hommes.

  • Quand même... ça fait un moment que l'on glorifie le travail à droite comme à gauche...

    Attention Danger travail

    Volem rien foutre al pais

  • Pas mieux... trop fainéant pour en rajouter, quand bien même parfois... mais fainéantise n'est pas paresse, ni oisiveté, l'otium cum dignitate, nous porte sur un chemin où l'oeuvre est tout entière tournée vers la jouissante satisfaction de soi dans une recherche des plaisirs simples de chaque instant... un égotisme espiègle, dont on trouve la trace chez Rousseau et même chez Montaigne. Lire ou relire Robert Walser aussi, dont les textes en prose brèves sont une formidable invitation à regarder non seulement la Nature, mais le monde avec des yeux d'une innocente causticité... La Promenade, La rose, Une vie de poète, ensemble de récits assez brefs qui nous replonge dans son expérience de marginal, à la douceur poil-à-gratter. Un personnage et un écrivain à redécouvrir, "dans la veine"... d'un Philippe Delerm, l'authenticité et le talent en plus....
    admiré par W. Benjamin, F. Kafka, T. Mann et Hermann Hesse justement, dont d'autres titres sont également de véritables odes à en faveur de la douce volupté des instants fugaces (Brèves nouvelles de mon jardin...)

    A côté de titres cités, tous parus chez Allia, excellente maison d'édition, pou une culture de l'honnête homme du XXIème siècle citons aussi Rivages Poche ou Arléa ou encore Jérôme Millon..., avec des titres qui font réfléchir, à mille lieues du prêt-à-bouffer de la littérature de m.... qui passe à la TV....


    Vaneigem, ancien situ s'il en est et ami de Debord écrivit il y a quelques mois au côté de quelques autres un Eloge de la paresse qui dissèque joyeusement en creux l'absurdité de notre système tortionnaire qui aspire à faire des hommes des esclaves consentants... Foucault et Deleuze aussi en ont parlé de cette société de contrôle qui tisse sa trame insidieusement... petit à petit... mais c'est vrai, à l'heure ou comme "intellectuels"... il ne reste plus que des Finkielkraut, des BHL ou autres Glucksman... ils sont ignorés... Dans cette société où le fascisme light tend de moins en moins à le rester... il est à craindre que bientôt, tous les amoureux d'une oisive tranquilité ne deviennent victimes de lapidations...au nom de la production infernale de bien de con-sommations de plus en plus ineptes....

    Eteignez- la TV...et lisez, seul conseil d'une hédoniste de base.

    Excellent aussi, Volem rien foutre al pais et Attention danger travail, en effet, des documentaristes qui ne sont pas aux ordres... enfin, pour finir et réfléchir sur notre société de con-munications à l'heure des "élections pestilentielles".... le recueil de textes dirigé par Eveline Pinto : Pour une analyse des médis. Le débat public en danger, avec notamment des interventions de Serge Halilmi et Jacques Bouveresse, ça vient de sortir! c'est un excellent préservatif agissant contre la sida mental qui envahit tous les médias audi-visuelle et la presse

  • idem que l'hedoniste... trop paresseux pour en rajouter mais assez conscient pour supporter la teneur de l'article. Le travail c'est la mort... On aurait pu citer aussi Diogène le Cynique (Cynismes de Michel Onfray), David Henry Thoreau et tous les livres consacrés à la.....sieste, activité préférée des oisifs car ils ont assez de temps pour la faire...

    Je vous laisse chercher, je pars faire la mienne...

    Amitiés

  • idem que l'hedoniste... trop paresseux pour en rajouter mais assez conscient pour supporter la teneur de l'article. Le travail c'est la mort... On aurais pu citer aussi Diogene le Cynique (Cynismes de Michel Onfray), David Henry Thoreau et tous les livres consacres a la.....sieste, activite preferee des oisifs car ils ont assez de temps pour la faire...

    Je vous laisse chercher je par faire la mienne...

    Amities

  • Un ajout à cette superbe liste d'irréductibles promoteurs du rien-faire : Corinne Maier et son Bonjour Paresse.
    Amitiés du P. m.

  • Et peut-être aussi : TRAVAILLER , MOI? JAMAIS! par Bob Black , traduit de l'américain par Julius Van Daal (L'esprir Frappeur n°1, 1997).

  • "Si on ne peut être heureux qu'en étant oisifs, restons oisifs. Voilà un précepte révolutionnaire, mais dont on ne doit pas abuser, menacés que nous sommes par la faim et l'hospice." Ce mot de R.L Stevenson, dans son "apologie des oisifs", dont vous conseillez la lecture, pour modérer un peu le farniente ambiant. Le problème, actuellement, c'est précisément que l'oisiveté est soigneusement traquée, ce que sous-entend votre bafouille, mais en laissant penser qu'il s'agirait d'un simple choix personnel, qu'il s'agirait de ne pas être dupe, d'ouvrir les yeux... Sur ce travail de sape infâme relayé notamment par l'A.N.P.E, d'ailleurs en grêve ces jours derniers, vient de paraître le pamphlet "Chômeurs, qu'attendez-vous pour disparaître?" aux éditions Après la lune ( voir apreslalune.com pour plus d'infos, couv, tract etc...). J'y fais une intervention qui va dans votre sens, mais en plus énervé. Je suis un paresseux excédé et méthodique, précis. Et concernant "lire au cabinet" de Henry Miller, le pamphlet auquel vous faîtes allusion, je tient à préciser que le romancier entend précisément qu'aucun livre au monde ne vaut d'interrompre par sa lecture ce moment de bien-être. Miller pousse la paresse jusque ses dernières extrémités, si je puis dire...

    Paresseusement.

    Stéphane Prat.

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